Focus sur la "Flat Tax"

La « flat tax » est un système d’imposition prévu à l’article 11 du projet de Loi de Finances initiale (LFI) de 2018. Ce dispositif a été adopté par le Sénat le 25 novembre 2017. Il résulte de cet article la création d’un impôt proportionnel visant les revenus issus du capital. Ce prélèvement forfaitaire libératoire correspond au régime de droit commun, et si le contribuable le souhaite, il peut sur option, opter pour le régime dérogatoire de la progressivité du barème de l’impôt sur le revenu.
C’est la raison pour laquelle la « flat tax » peut se traduire par « taxe forfaitaire » ou « impôt à taux forfaitaire unique ». L’article 11 du projet de LFI emprunte cette dernière expression et prévoit qu’il s’agit « d’un taux forfaitaire unique d’imposition des revenus mobiliers de 30 % se décomposant en un taux forfaitaire d’impôt sur le revenu (IR) de 12,8 %, auquel s’ajouteront les prélèvements sociaux au taux global de 17,2 % ». Cette notion fait donc entorse au principe de progressivité de l’IR. Il convient donc de s’interroger sur les mesures dans lesquelles la « flat tax » va s’appliquer aux revenus de capitaux.
I. L’instauration d’un prélèvement forfaitaire à taux unique
A) Une nouvelle fiscalité sur l’épargne tendant à se rapprocher de celles des Etats membres de l’UE
Le projet de loi instaurant ce nouveau prélèvement forfaitaire a vocation à s’appliquer sur une grande partie des revenus du capital, à savoir : les dividendes, l’assurance-vie, les intérêts, et les plus-values.
Dans l’état actuel du droit, ces revenus sont tous soumis à la progressivité du barème de l’IR après l’application de plusieurs régimes distincts prévus par le Code Général des Impôts. Cette réforme tend à régler un réel problème de lisibilité de la loi en matière d’imposition sur les revenus du capital.
Pour autant, il est important de souligner que la catégorie des « revenus fonciers » n’entre pas dans le champ d’application de ce prélèvement à taux unique. Il convient d’établir un lien entre cette exclusion du champ d’application de la « flat tax » et de la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Il est important de souligner la volonté du législateur d’harmoniser la législation française avec les législations des Etats membres.
En effet, le droit primaire du droit de l’Union Européenne prévoit différentes intégrations positives et négatives des fiscalités nationales. Parmi les intégrations positives, l’article 115 du TFUE prévoit une obligation d’harmoniser. Les Etats harmonisent leurs droits en transposant dans leur droit interne les directives émanant de l’UE.
Toutefois, cette obligation concerne seulement la fiscalité indirecte qui a une incidence sur le marché intérieur. En matière d’impôt direct, il n’existe pas réellement d’obligation d’harmoniser car cela semble relever de la compétence exclusive des Etats membres.
En revanche, la jurisprudence de la CJUE a admis que l’harmonisation fiscale en la matière pouvait être développée sur la base des dispositions générales de l’article 115 du TFUErelatif au « rapprochement des législations ».
Toujours dans une idée d’attractivité du territoire et afin de redonner à la France une « compétitivité fiscale », l’instauration de ce prélèvement unique permet « d’harmoniser le taux et les modalités d’imposition de la majeure partie des revenus de l’épargne mobilière et de rapprocher la France des règles fiscales en vigueur dans beaucoup d’États européens » selon l’exposé des motifs du PLF 2018.
Ainsi, cette réforme tend à distinguer les revenus du capital avec les revenus du travail en ne soumettant plus ces derniers au régime progressif du barèmes de l’IR (sauf si le contribuable en fait le choix sur option). En application de cette réforme, cet allègement drastique de la fiscalité du capital avec une imposition à taux fixe aurait finalement pour conséquence de rapprocher la législation française des autres législations européennes
B) Les intérêts multiples de ce prélèvement forfaitaire à taux unique.
Cette annonce du gouvernement semble être une excellente nouvelle pour les contribuables les plus fortunés. Aujourd’hui, la plupart sont imposés dans les dernières tranches du progressif de l’IR et doivent ajouter 15.5% de prélèvements sociaux à ces revenus du capital. L’instauration de ce prélèvement forfaitaire unique permettrait donc à ces contribuables de réduire considérablement l’impôt à payer. Néanmoins, il convient de préciser que l’avantage fiscal tiré de l’application de cette « flat tax » n’est pas plafonné et ne correspond donc pas à une niche fiscale.
En outre, selon l’exposé des motifs sur l’article 11 du PLF 2018, il s’agit d’une « refonte globale du régime d’imposition des revenus de l’épargne dans une logique de simplification des dispositifs existants ». Pour autant, les ménages à faibles revenus qui ne sont pas ou peu imposés à l’IR ne trouveront pas vraiment d’intérêt dans l’instauration de cette « flat tax ». Elle semble de prime abord les désavantager puisqu’elle imposera les revenus du capital à un taux de 30% des contribuables qui ne paie pas l’IR et pour lesquelles les revenus de capitaux mobiliers (RCM) ne seraient donc pas imposés. C’est justement pour ne pénaliser ces contribuables que le gouvernement n’a pas rendu obligatoire ce mécanisme. Les contribuables auront toujours la possibilité de rester sur le système de taxation actuel. Par tous ces changements, le gouvernement vise donc les contribuables les plus aisés qu’il considère comme les « investisseurs potentiels ».
Néanmoins, il est possible de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le contribuable a le choix entre la « flat tax » et le barème progressif de l’IR ? Quel est l’intérêt pour le contribuable fortuné de ne pas opter pour le prélèvement forfaitaire ? De plus, avec l’existence de ce choix, une question d’égalité devant la loi et devant les charges publiques peut être soulevée.
« Investissement » est le mot clé de cette Loi de Finances 2018. Le gouvernement souhaite favoriser le développement et le financement des entreprises. A terme, l’objectif est donc de créer de l’emploi et de redonner à la France une attractivité fiscale pour les investisseurs étrangers.
La tendance souhaite donc permettre le développement des entreprises, non pas à l’aide de régimes fiscaux dérogatoires s’accompagnant aujourd’hui de nombreux crédits d’impôt, mais en assouplissant directement les règles fiscales pour libérer les investisseurs de cette « pression » actuelle.
La mise en place d’un impôt à taux forfaitaire unique n’est pas la seule mesure de ce projet de loi de finance 2018 qui répond à un objectif d’incitation à l’investissement et à la prise de risque par la fiscalité. En effet, cette volonté est illustrée de plusieurs façons dans ce projet. La transformation de l’ISF en Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) suit finalement le même objectif en diminuant de l’assiette imposable les portefeuilles de valeurs mobilières.
Les contribuables qui sont aujourd’hui habitués à privilégier des placements sûrs et qui sont réticents à l’idée de prendre des risques dans des investissements hasardeux et lourdement taxés pourraient revoir leur mode d’épargne avec l’arrivée de ces nouvelles règles. L’épargne de ces contribuables, qui est aujourd’hui peu lucrative et très taxée, pourrait largement changer de direction et se tourner vers l’entreprise.
Le vote de cette « flat tax » a suscité de vives critiques au sein de l’opposition. En effet, cette mesure ne tend finalement pas à améliorer directement la situation des ménages ayant les plus faibles revenus mais constitue plutôt une mesure incitative pour les contribuables aisés.
Pour autant, dans l’exposé des motifs de ce projet de loi, le gouvernement évoque que cette réforme intervient aussi « dans une logique de simplification des dispositifs existants, afin d’en améliorer la lisibilité et la prévisibilité ».
Rappelons que l’intelligibilité de la loi est un objectif à valeur constitutionnelle qui résulte notamment de la DDHC. La prévisibilité est également importante pour le contribuable qui n’est toujours pas protéger constitutionnellement par un principe de « confiance légitime ».

II) L’application contestable et limitée d’un tel dispositif
A) La « flat tax » et l’égalité devant la loi et les charges publiques
Les dispositions de l’article 11 de ce PLF feront sans doute l’objet d’un contrôle a priori ou bien d’une question prioritaire de constitutionnalité dans les mois à venir si cette loi est promulguée. L’article 6 de la DDHC prévoit le principe d’égalité devant la loi : « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux (…). ». Il ressort de cet article que deux contribuables dans la même situation doivent recevoir le même traitement.
Comment expliquer au regard de cette disposition constitutionnelle, que certains contribuables resteront soumis au barème progressif de l’IR pour l’imposition des revenus du capital alors que d’autres seront imposés selon un taux forfaitaire unique de 30% ? Deux contribuables percevant des dividendes se trouvent-il dans la même situation ? De même cette « flat tax » ne remettrait-elle pas en question le principe d’égalité devant les charges publiques prévues à l’article 13 de la DDHC ?
Ce principe est entendu comme l’égalité des contribuables devant l’impôt. Selon la conception de ce principe d’égalité, l’impôt à taux proportionnel tel que la « flat tax » ne prend pas en compte les capacités contributives du contribuable. En ce sens, la mise en place d’un taux progressif est nécessaire pour que la répartition de la charge fiscale soit plus juste. Cette progressivité permet donc de favoriser une égalité des sacrifices financiers.
B) L’existence d’une clause anti-abus
L’existence d’un tel dispositif peut entraîner les dirigeants d’entreprises à privilégier les versements de dividendes aux versements de salaires et donc de transférer les revenus du travail vers les revenus du capital pour bénéficier d’un taux d’imposition réduit.
Afin de ne pas être confronté à cette situation, le Sénat a instauré une clause anti-abus. Cette limitation parait justifiée puisqu’elle s’explique par un différentiel de taxation important entre les salaires et les dividendes.
La création de cette clause parait d’autant plus justifiée au regard de la situation des Etats-Unis en la matière. En effet, de l’autre côté de l’Atlantique, de nombreux salaires sont déguisés en dividendes, ce qui provoque un important manque à gagner des recettes fiscales pour l’Etat.
Pour autant, cette limitation est en elle-même critiquable car celui qui souhaite transformer ses salaires en dividendes ne cotise pas au régime de retraite. En tout état de cause, il convient d’attendre la deuxième lecture du budget à l’Assemblée nationale pour savoir si ce mécanisme sera conservé ou non.
Sources:
http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0235.asp
https://ue.delegfrance.org/fiscalite-2029
https://www.lesechos.fr/amp/88/2133588.php