CJUE, 26 juillet 2017, aff. C-386/16, Toridas UAB: précisions sur l’exonération de la livraison intr

Ne constitue pas, en interprétation de l’article 138 de la Directive TVA, une livraison intracommunautaire exonérée la vente d’un bien à un assujetti établi dans un État membre lorsque le bien n’est pas transporté dans l’État d’acquisition et est directement revendu et expédié par l’acquéreur à un client final établi dans un troisième État membre.
En l’espèce, une société lituanienne assujettie vendait des marchandises à une société estonienne, laquelle société prélevait à convenance les marchandises, en application de dispositions contractuelles, dans les locaux de la société venderesse. Une partie des marchandises était directement revendue et expédiée vers les preneurs finaux, et l’autre partie était transformée dans les locaux d’une autre société lituannienne avant d’être expédiée. La société lituanienne effectuait ces opérations hors-TVA, appliquant l’exonération de TVA liée aux livraisons intracommunautaires. L’administration fiscale lituanienne, au cours d’une opération de contrôle, conteste l’exonération de TVA au motif qu’il ne s’agit pas d’une livraison intra-UE au sens de la directive mais de livraisons internes taxables. Confirmée par le tribunal administratif local, cette appréciation fait l’objet d’un appel par le redevable concerné, durant lequel sont posées deux questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’UE.
La première question posée concerne l’interprétation directe de l’article 138 de la Directive TVA, lequel prévoit l’exonération des livraisons intra-UE, et est relative à l’application, ou non, d’une telle exonération lorsque les biens vendus par l’assujetti ne quittent pas le territoire du vendeur et sont directement revendus et expédiés par le preneur intermédiaire sur le territoire d’un autre État membre. Sur ce point, la Cour de Justice adopte une lecture stricte du texte de l’article 138 de la Directive, lequel mentionne expressément que l’exonération concerne les biens “expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif”. Ce faisant, toute opération ne se caractérisant pas par une sortie des biens vendus du territoire du vendeur ne peut être vue comme une livraison intra-UE exonérée. En effet, la livraison d’un bien implique son acquisition subséquente taxée dans le pays de destination, et aucun transfert du pouvoir de disposer ne peut être effectivement caractérisé dans le pays de taxation si les biens en cause n’ont pas été transportés sur le territoire de cet État (v. CJUE, 16 octobre 2010, aff. C-430/09, Euro Tyre Holding).
La question ne semble guère se poser, puisque l’opération en cause est strictement interne. Elle méritait à tout le moins d’être posée dans le cadre d’espèce d’une opération en chaine, c’est-à-dire la revente immédiate du bien à un assujetti établi sur le territoire d’un troisième État membre. En l’occurrence, n’est en jeu qu’un seul transport intra-UE, pour deux livraisons, en ce sens que les biens ne sont présents que sur le territoire de deux États membres : le territoire du vendeur et le territoire de l’acquéreur final. Cette circonstance conforte la non-exonération de la livraison initiale, en ce sens que la Cour de Justice rappelle qu’en cas de ventes en chaine se manifestant par un seul transport, une seule livraison pourra être exonérée dès lors qu’elle remplira les conditions de fond de l’exonération (CJCE, 6 avril 2006, aff. C-245/04, EMAG Handel). En la matière, le critère inique se doit d’être un critère temporel d’appréciation de la seconde livraison : la première livraison ne peut être exonérée que dès lors que le transport a lieu avant la seconde livraison (c’est-à-dire avant le second transfert du pouvoir de disposer, v. à cet égard CJUE, 27 septembre 2012, aff. C-587/10, VSTR).
C’était donc à bon droit que l’administration litunnienne avait refusé l’exonération de la livraison faite par la société lituanienne, la livraison intra-UE n’étant caractérisée qu’en présence d’un transport du bien hors du territoire du vendeur. A cet égard, des propositions d’une directive et de deux règlements de la Commission prévoient qu’en cas de ventes en chaine, le transport (donc l’exonération) sera imputé à la livraison effectuée par un assujetti certifié (un assujetti de confiance au sens de l’État d’établissement) dès lors que l’acquéreur intermédiaire indiquera au vendeur l’État de destination des biens et qu’il sera identifié à la TVA dans l’État de destination des biens. En l’absence d’une de ces conditions, la seconde livraison (acquéreur intermédiaire-acquéreur subséquent) bénéficiera de l’imputation du transport (Proposition de Directive du Conseil COM (2017) 569 final du 4 octobre 2017, modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne l’harmonisation et la simplification de certaines règles dans le système de taxe sur la valeur ajoutée et instaurant le système définitif de taxation des échanges entre les États membres). Ces dispositions ne sont guère pertinentes au regard de la notion de transport, et viennent complexifier le système, réduisant la portée de la décision Toridas.
La deuxième question est relative à l’influence, sur la première question, de la transormation des biens expédiés directement sur le troisième État membre dans les locaux d’une tierce entreprise établie sur le premier État membre. La réponse découle ici de la notion de livraison rappelée par la Cour dans un premier temps : la livraison intra-UE nécessite un transport, entendu au sens de l’expédition du bien de l’État de vente vers l’État de destination, et non un transport purement interne. Le fait que le bien, possédé par l’entreprise acquérante, soit déplacé par elle-même dans d’autres locaux situés dans le même État ne constitue guère plus un transport intra-UE exonérant la livraison malgré le transfert du pouvoir de disposer en ce sens que le bien n’a toujours pas quitté le territoire.
Les réponses ici apportées fondent donc l’exonération de la livraison sur un critère territorial de transport intracommunautaire. Le simple fait de transférer le pouvoir de disposer à un assujetti établi dans un autre État membre ne constitue pas une livraison intra-UE lorsque le bien est directement revendu par le preneur établi et expédié directement vers l’État du client final, mais une simple livraison taxable. Un critère fondamentalement objectif, qui ne semble pas supporter de nuances, bien qu’il tende à être oublié au profit d’un critère plus approximatif dans la proposition de Directive de la Commission.