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CJUE, 22 novembre 2017, aff. C-251/16, Edward Cussens, John Jennings, Vincent Kingston c. T. G. Bros


L’abus de droit, tel que consacré par la jurisprudence Halifax en matière de TVA, peut être invoqué en droit interne par une administration fiscale pour refuser le bénéfice d’une exonération de TVA malgré l’absence de base légale interne, et ceci sans méconnaitre les principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

Cette solution s’applique également pour les situations constituées avant 2006 sans méconnaitre les mêmes principes.


En l’espèce, des propriétaires immobiliers irlandais ont procédé à la mise en location de leurs biens avec une société leur appartenant. Ces baux, d’une durée de 20 ans, ont pris fin un mois après leur conclusion par volonté contractuelle ; les biens revenant dès lors en pleine propriété dans les mains dans propriétaires bailleurs. Un mois après la renonciation bilétarale aux baux, les biens sont vendus à des tiers. Le droit irlandais prévoit que les livraisons de biens immobiliers sont taxables, sauf en cas de livraison (ou assimilés) préalable soumise à TVA, dans quel cas la vente est exonérée. En l’occurrence, est assimilé à une livraison le bail de longue durée (supérieure à 10 ans). La location était donc considérée comme une livraison de biens est était taxable. Dès lors, la vente ultérieure des biens, en ce qu’elle intervient après un bail de longue durée, devrait être exonérée, et ce peu important la réalisation ou non du bail : seule importait la durée contractuelle du bail, pas son exécution.


L’administration fiscale conteste cette exonération en relevant l’artificialité des opérations afin d’éviter une surcharge de TVA. Les juridictions du fond confirment cette appréciation en constatant l’absence de réalité économique et en invoquant le principe dégagé par l’arrêt Halifax, lequel permet d’écarter tout bénéfice d’une règle en cas de pratique abusive (CJUE, 21 février 2006, aff. C‑255/02, Halifax Plc). A relever cependant que l’administration fiscale n’avait pas invoqué l’abus de droit, mais simplement l’artificialité de la première livraison pour justifier en tenir compte dans son avis de recouvrement. L’affaire est portée devant la Cour suprême locale, invoquant le fait que l’interdiction des pratiques abusives n’a aucun fondement en droit interne et ne saurait se fonder sur la jurisprudence européenne. Au surplus, elle consiste la qualification même d’abus de droit dans le montage et invoque que si abus de droit il devait y avoir, celui-ci découlerait de l’incompatibilité de la règle interne permettant l’exonération d’avec la directive. Dans ce cadre, la Cour suprême surseoit à statuer et pose huit questions préjudicielles à la Cour, pouvant être groupées sous trois bannières.


On peut d’emblée écarter deux des huit questions, lesquelles ont été déclarées comme irrecevables pour défaut de motifs par la Cour. En l’occurrence, il s’agissait de questions relatives à l’incompatibilité des règles internes à la directive comme fait justificatif à un éventuel abus de droit s’il devait être qualifié. La juridiction n’ayant aucunement exposé les raisons pour lesquelles ces questions sont posées, celles-ci devaient être écartées. En tout état de cause, la disposition ne présentait pas de lien immédiat avec l’espèce et n’aurait pu, justifier un abus de droit au sens de l’arrêt Halifax.


Peuvent également être écartées les questions relatives à la compatibilité entre une disposition d’exonération pouvant aboutir à l’octroi d’un avantage fiscal avec les objectifs de la Directive TVA. La Cour relève qu’une telle mesure peut en effet relever créer une contrariété avec la directive dès lors que l’article 13 B g) de la directive exonère les livraisons d’immeubles ayant déjà fait l’objet d’une première occupation, et que la première occupation s’entend des biens qui « ont fait l’objet d’une utilisation effective par leur propriétaire ou par leur locataire ». La première occupation effective relevant exclusivement de circonstances de fait, leur appréciation est laissée aux juridictions internes. L’exonération ne méconnait les objectifs de la directive que si la « première livraison » du droit irlandais ne contient pas un critère d’effectivité.


Reste donc la troisième série de questions relatives, d’une part, à l’effet direct de l’abus de droit Halifax à l’encontre d’un particulier malgré l’absence d’une disposition (lato sensu) interne le transposant et, d’autre part, à la rétroactivité de l’arrêt Halifax d’agissant d’opérations constituées avant la reconnaissance de l’abus de droit en matière de TVA.


Sur le premier point, la Cour de Justice vient ici préciser sans grande surprise que l’abus de droit Halifax est d’effet direct et peut être invoqué contre un contribuable et ce sans qu’il ne soit nécessaire que l’arrêt Halifax ait fait l’objet de quelconque prise d’acte ou décision. L’argument tiré de l’effet direct des directives (CJCE, 5 février 1993, aff. C-26/62, Van Gend & Loos) n’était pas suffisant puisque l’abus de droit ne tire pas sa source d’une disposition du droit dérivé mais de l’arrêt Halifax de 2006. Pour autant, la formulation de la décision Halifax permettait de fonder sans interprétation extensive l’effet direct (en l’occurrence, un effet direct vertical descendant) de l’exception de pratiques abusives pour exclure tout bénéfice des dispositions en cause. En effet, celui-ci prévoit que « ce principe d’interdiction de pratiques abusives s’applique également au domaine de la TVA » (point 70), lequel principe est considéré comme un « principe général du droit communautaire ». Dès lors, et au regard de la jurisprudence antérieure de la Cour quant aux principes généraux (v. CJCE, 12 novembre 1969, aff. C-29/69, Stauder), il n’est guère surprenant de permettre l’invocabilité de l’abus de droit sans source interne de transposition. Au surplus, et la Cour le relève ici, la prohibition de l’abus de droit est un principe général de droit communautaire même en dehors du spectre de la TVA, et les mêmes conséquences en découlent (v. CJCE, 23 mars 2000, aff. C-373/97, Diamantis et CJCE, 3 mars 2005, aff. C-32/03, Fini H).


Sur le second point, la Cour a appliqué sa jurisprudence relative à la rétroactivité de ses actes à l’abus de droit Halifax, considérant que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ne sont pas méconnus en cas de constatation d’un abus de droit pour des opérations pré-Halifax. En effet, la Cour de Justice a établi de longue date, au double visa de l’article 257 TFUE et du principe d’effectivité du droit de l’Union, l’effet ex nunc de ses arrêts sauf circonstances exceptionnelles. Ainsi, l’interprétation que fait la Cour de Justice des normes européennes est d’applicabilité rétrospective et s’applique à toutes les situations objectivement constituées même avant son empire (v. récemment CJUE, 22 janvier 2015, aff. C-401/13, Balazs). En son point 42, la Cour relève en outre que l’arrêt Halifax ne précisant pas ses effets dans le temps, et que seul l’arrêt rendu peut limiter ses propres effets dans le temps, la portée de l’arrêt Halifax est nécessairement rétroactive. En tout état de cause, et cet argument aurait suffi, dès lors que l’abus de droit était caractérisé, les requérants n’auraient pu se prévaloir de quelconque droit ou bénéfice en raison du caractère frauduleux de leur montage.


La Cour ajoute que les opérations finalement non exonérées doivent être taxées suivant les « dispositions pertinentes de la réglementation nationale ». Concrètement, l’administration fiscale devra procéder par analogie et rapprocher le régime des opérations exonérées à un régime proche, comme en l’espèce celui d’une livraison d’immeuble taxable.


L’on résumera donc l’arrêt en ce qu’il consacre, d’une part, l’invocabilité directe de l’abus de droit à l’encontre d’un contribuable malgré l’absence de dispositions internes spécifiques ; et d’autre part, l’application rétroactive de l’arrêt Halifax. En droit français, l’effet direct n’aurait guère d’importance en ce que le Code général des impôts a acté, au moins partiellement, les conséquences de l’arrêt Halifax (en adjoignant les abus de droit à des schémas frauduleux), lorsqu’il exclut l’exonération des livraisons intra-UE ou des exportations (article 262 ter I 1°), la déduction de TVA d’amont (article 272 3°) et applique la solidarité en paiement (article 283 4 bis) à tout participant à un schéma frauduleux, directement ou indirectement, activement ou n’ayant pu ignorer le caractère frauduleux ou abusif de l’acte.

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