La redevance pour copie privée exclue du champ des prestation de services soumises à la TVA
Le principe de la TVA est d’appliquer au biens et aux services un impôt général sur la consommation, proportionnel aux prix des biens et des services, quel que soit le nombre d’opérations intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade de l’imposition (Directive TVA 2006/112/CE).
1. Qu’est-ce que la redevance pour copie privée ?
La loi 85-660 du 3 juillet 1985 sur les droits voisins du droit d’auteur – dite « Loi Lang » – a mis en place la rémunération pour copie privée. Cette redevance est codifiée aux articles L. 311-1 et suivants du titre premier du livre III du Code de la propriété intellectuelle.
Collectée par les fabricants et importateurs de supports de stockage (tels que les DVD ou CD vierges, les clés USB, les disques durs externes, les tablettes, smartphones), elle représente une partie du prix versé par le consommateur lors de l’achat de l’un de ces supports, l’autre partie rémunérant les créateurs, auteurs, éditeurs, artistes-interprètes, et producteurs.
La redevance est ensuite versée aux ayants droits : auteurs, interprètes, producteurs, et depuis une réforme portée par la loi du 17 juin 2001 (article 15), aux auteurs et éditeurs d’œuvres graphiques.
Ces sommes sont collectées par la Société de gestion collective pour la rémunération de la copie privée (SORECOP), et par COPIE France qui les reversent ensuite aux sociétés représentant le répertoire de la musique, du film, du livre et de l’image.
En résumé, le schéma est le suivant :
la redevance est collectée par les producteurs et importateurs de supports ;
elle est payée à la société de gestion collective;
elle est redistribuée aux artistes titulaires des droits d’auteurs et droits voisins.
2. TVA et prestation de services
En vertu de l’article 256, I du Code général des impôts, la TVA a vocation à s’appliquer aux livraisons de biens et aux prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel.
On entend par prestation de services tout ce qui, par négation, n’est pas une livraison de bien[1]. Il faut que l’opération soit réalisée par un assujetti, c’est-à-dire un agent économique réalisant l’activité taxable. C’est donc la personne qui effectue de manière indépendante l’activité en question.
Pour être qualifié d’assujetti agissant en tant que tel, l’agent économique doit intervenir dans le cadre d’une activité économique professionnelle.
Cette prestation de services doit être effectuée à titre onéreux, ce qui signifie qu’elle doit être réalisée en échange d’une contrepartie. La réalité de la contrepartie est caractérisée par l’existence d’un lien direct entre la prestation réalisée et la contrevaleur versée[2]. Il doit donc y avoir une relation entre le niveau des avantages retirés par le bénéficiaire et la contrepartie versée au prestataire[3].
3. La position de la CJUE
CJUE 18 janvier 2017, aff. C-37/16, « SAWP »
En l’espèce, le litige opposait l’administration fiscale polonaise et la Société d’artistes interprètes d’œuvres musicales avec ou sans paroles (SAWP).
Il était question de savoir s’il fallait soumettre à la TVA la redevance sur les appareils d’enregistrement et de reproduction des œuvres protégées par le droit d’auteur ou des objets relevant des droits voisins, et pour les supports servant à fixer de telles œuvres ou de tels objets[4].
En août 2012 le ministre des Finances polonais avait indiqué que ces sommes versées par les producteurs et les importateurs de ces appareils ou supports constituaient un paiement pour l’utilisation des droits d’auteurs ou des droits voisins liés à la vente d’équipement servant à copier ou fixer des œuvres.
Qu’in fine, elles devaient être considérées comme une rémunération pour les services fournis par les titulaires des droits, et que ces sommes devaient donc être soumises à la TVA.
Toutefois, la SAWP a décidé de demander l’annulation de cet avis et par la suite le ministre s’est pourvu en cassation.
La Cour suprême administrative polonaise a décidé de surseoir à statuer et a posé deux questions préjudicielles.
La première sur le fait de savoir si les titulaires des droits d’auteurs ou des droit voisins
(artistes-interprètes, auteurs ou exécutants et les autres titulaires) effectuent des prestations de services au profit des producteurs et importateurs de magnétophones et autres appareils similaires ou de supports vierges ?
Et la seconde, en cas de réponse affirmative à la première, sur le fait de savoir si les sociétés de gestion collective peuvent être qualifiées d’assujetti agissant en tant que tel au sens de la directive TVA ?
Dans un premier temps, la Cour rappelle que pour avoir une prestation de services à titre onéreux au sens de la directive, il faut caractériser l’existence d’une relation entre les avantages retirés par le bénéficiaire et la contrepartie versée au prestataire. Ce sera donc le cas lorsqu’il existe un lien direct entre la contre-valeur et le service rendu.
En l’espèce la Cour considère que l’obligation de verser cette redevance ne peut caractériser l’existence d’une prestation de services. En effet, le fait de verser cette redevance résulterait davantage d’une compensation liée au préjudice que subissent les titulaires de ces droits d’auteurs et droits voisins de la reproduction de leurs œuvres protégées par des tiers, sans leur autorisation.
La Cour considère donc qu’il n’y a pas de rapport juridique contractuel caractérisant des prestations réciproques. En effet, les producteurs et importateurs versent une redevance pour copie privée aux sociétés d’artistes-interprètes d’œuvres musicales avec ou sans paroles conformément à la législation nationale.
Étant donné qu’il n’y a pas lieu de caractériser d’opération effectuée à titre onéreux, et donc aucune prestation de services, la redevance pour copie privée n’est pas soumise à la TVA.
4. Qu’en est-il en France ?
Pour le moment la redevance pour copie privée est soumise à la TVA[5]. Toutefois, cet arrêt pourrait avoir des conséquences sur la fiscalité française, puisque selon la Cour il n’existe aucune prestation effectuée à titre onéreux. La redevance ne doit pas être soumise à la TVA.
La solution applicable au cas polonais dans l’arrêt du 18 janvier dernier a vocation à s’appliquer en France.
[1] Article 24, paragraphe 1 de la directive 2006/112/CE dite « directive TVA ».
[2] L’existence du lien direct se vérifie par l’existence ou non d’un service individualisé, rendu à un bénéficiaire déterminé en échange d’une contrepartie. De plus, il n’est pas obligatoire que la contrepartie ait une équivalence exacte avec le service ou encore qu’il y ait une utilisation effective du service : CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00, « Kennemer Golf & Country Club » et CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-277/05, « Société Thermale d’Eugénie-Les-Bains ».
[3] CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86, « Apple and Pear ».
[4] En France, il s’agit de la redevance pour copie privée.
[5] BOI-TVA-CHAMP-10-10-60-20 du 12 septembre 2012, n°130.