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La relance de l’ACCIS, un pas de plus vers l’harmonisation de la fiscalité des entreprises dans l’Un

L’essence du projet ACCIS

La Commission européenne a présenté le 17 juin 2015 un plan d’action relatif à la fiscalité des entreprises ayant vocation à favoriser le développement de leurs activités transfrontalières au sein du marché unique[1]. Parmi les cinq domaines d’action envisagés figure notamment la relance du projet de directive de l’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés (ACCIS)[2].

Présenté pour la première fois devant la Commission en mars 2011, le dispositif prévu ne fait toujours pas l’objet de consensus entre les États membres.

Ce projet de réforme repose sur les trois idées suivantes :

  • Premièrement, l’harmonisation de l’assiette imposable à l’IS grâce à l’instauration de règles communes de calcul du bénéfice imposable, qui permettra aux entreprises de ne plus avoir à se conformer aux régimes nationaux respectifs des États dans lesquels elles sont implantées.

  • Deuxièmement, la consolidation des résultats au niveau du groupe, c’est-à-dire la possibilité pour celui-ci de cumuler les bénéfices et les pertes des entreprises le constituant situées dans l’Union européenne. En éliminant les transactions intra-groupe, ce mécanisme apporterait des solutions aux problèmes de prix de transfert.

  • Troisièmement, la répartition des bénéfices entre les États d’implantation du groupe selon une clé de répartition fondée sur les immobilisations corporelles, la main d’œuvre et les ventes.

Sa mise en œuvre permettrait d’éliminer les divergences entre les régimes nationaux des États membres et d’empêcher les entreprises de tirer profit des éventuelles incohérences qui en résultent.

Le projet répond également à des nécessités de simplification en ce qu’il propose l’instauration d’un système de « guichet unique » selon lequel les entreprises ne rempliraient qu’une seule déclaration et passeraient par une seule administration fiscale quelque soit le nombre d’États membres dans lesquels elles génèrent des bénéfices.

Enfin, l’application de ce régime impliquerait un allègement des formalités administratives et une réduction les coûts de mise en conformité des entreprises au sein du marché unique.

En somme, il s’agit de parvenir – selon les termes du commissaire européen Pierre Moscovici – à une fiscalité « juste et efficace » au sein du Marché intérieur, en contrecarrant notamment la planification fiscale agressive, sans pour autant priver les États membres de l’exercice de leur souveraineté pour ce qui est de la détermination du taux d’imposition.

Le dispositif réactualisé, introduit à l’occasion de la présentation d’un nouveau paquet de mesures relatives aux groupes de sociétés par la Commission européenne le 25 octobre 2016, diffère peu de la première version. Quelques nuances méritent toutefois d’être soulignées :

  • C’est une approche progressive des négociations qui a été retenue: l’harmonisation et la consolidation feront désormais l’objet de deux directives respectives[3]. Celle sur l’harmonisation a vocation à être applicable dans les plus brefs délais[4], et sera dans un premier temps au centre des discussions.

  • Le régime commun ne serait plus optionnel mais obligatoire pour les grandes entreprises (celles dont le chiffre d’affaires total consolidé dépasse le seuil de 750 millions d’euros par an).

  • Sont prévues de fortes incitations à la recherche et développement, notamment à travers l’introduction d’une « super-déduction » bénéficiant principalement aux jeunes entreprises innovantes (article 9.3).

  • Le nouveau dispositif encourage également un financement stable des entreprises, à travers l’incitation à augmenter leur capital (article 11), ainsi que par la mise en place d’un plafonnement de la déductibilité des intérêts (article 13).

  • La nouvelle version revient sur la notion d’« établissement stable » en proposant une définition plus proche de celle du Modèle OCDE. L’établissement doit toutefois être établi dans un État membre (article 5). Les revenus provenant de ce dernier seraient en principe exonérés dans l’État de résidence du contribuable et l’imputation des pertes serait seulement permise à titre dérogatoire (article 8).


  1. Les difficultés soulevées par sa mise en œuvre

Outre l’objectif d’assurer un environnement juridique favorable aux entreprises, la relance – par ailleurs motivée par le scandale LuxLeaks en 2014 – traduit également une volonté de lutter contre l’évasion fiscale au sein de l’Union, s’alignant ainsi sur le projet BEPS de l’OCDE. Ce dispositif présente en ce sens quelques similitudes avec la directive ATAD[5], accord européen de lutte contre des pratiques d’évasion ayant une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur. La proposition introduit, par exemple, des dispositions relatives aux dispositifs hybrides afin d’éviter les situations de double déduction d’un même paiement entre États membres ou avec un pays tiers, ou bien de déduction ou de non-imposition dans un État sans inclusion dans l’assiette imposable de l’autre État concerné (article 61).

L’unification des règles de calcul du bénéfice imposable et la consolidation, par la compensation des bénéfices réalisés dans un État membre avec les pertes subies dans un autre, permettraient de neutraliser les problèmes liés aux prix de transfert. Ce projet serait en somme garant d’un renforcement de la transparence fiscale entre les États. Il convient néanmoins de s’interroger sur l’articulation de ces dispositions avec les mesures prônées par l’OCDE en matière de lutte contre l’érosion de la base fiscale et du transfert de bénéfices. Le risque de chevauchement avec le plan d’action international serait susceptible de complexifier le cadre juridique en vigueur.

En outre, la nouvelle définition de l’établissement stable soulève la question du traitement des établissements situés dans un État tiers à l’Union. N’entrant pas dans le champ de la directive, il faudrait alors recourir aux conventions fiscales bilatérales conclues entre les États concernés. Se pose également la question du régime applicable à la société établie dans un État tiers disposant d’un établissement stable dans l’Union. Le résultat imposable pourrait être calculé selon les règles de l’assiette commune mais également selon la convention fiscale applicable le cas échéant, ce qui pourrait être à l’origine de divergences.

Du point de vue de la législation nationale, l’adoption de la directive et sa transposition en droit interne ne seraient pas sans conséquences : elle impliquerait un élargissement de l’assiette[6], et quelques nouveautés telles que l’interdiction du report en arrière des pertes (article 41). L’harmonisation de l’assiette entraînerait également l’abandon de régimes préférentiels tels que les « patent boxes » (régimes fiscaux favorables aux brevets), par exemple.

Il est maintenant difficile de déterminer si ces propositions pourront faire prochainement l’objet d’un accord unanime par les États membres au Conseil, désireux de conserver leurs prérogatives fiscales. La consolidation soulèvera sans doute le plus difficultés.

Si le Brexit est susceptible de donner un nouvel élan aux discussions, le Royaume-Uni ayant fait de ses réserves, le Luxembourg a toutefois manifesté sa réticence à travers une résolution adoptée par la Chambre des députés le 22 décembre 2016[7]. Il y est fait état des doutes sur le respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité, la Chambre souligne notamment que : « La mise en œuvre des propositions conduiraient à ce que ces considérations (d’ordre politique, social et économique) propres à chaque Etat ne puissent plus être dûment prises en compte au niveau national, mais devraient à l’avenir être négociées à l’unanimité au sein du Conseil ». Les députés ont également affirmé que la mise en œuvre des propositions pouvait « impacter de façon disproportionnée les petites économies ouvertes au sein de l’Union ». Ainsi, malgré les incertitudes quant à son adoption, il appartient tout de même aux groupes multinationaux européens de se préparer aux éventuels changements à venir.


[1] COM(2015) 302 final.

[2] COM(2011) 121/4.

[3] COM/2016/685 et COM/2016/683.

[4] Les États membres sont invités à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la directive avant le 31 décembre 2018 pour une application au 1er janvier 2016.

[5] « Anti-Tax Avoidance Directive », Directive (UE) nº 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016.

[6] Questions et réponses sur l’ACCIS, MEMO/11/171 : l’élargissement serait de l’ordre de 7,9 % pour la plupart des États membres.

[7] Disponible à l’adresse suivante : http://www.chd.lu/wps/PA_RoleEtendu/FTSByteServingServletImpl/?path=/export/exped/sexpdata/Mag/0000/053/532.pdf [Consulté le 12 janvier 2017]


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